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Peinture et vues orientées chez les Orléans - Partie 1

Au Château Royal d'Amboise, l'Histoire se déploie sur cinq siècles, du XVème au XXème; soit un tourbillon d'événements, personnalités et sensibilités, qui dans une variété de degrés, ont fait de ce château sis sur son promontoire, une veille dame de première fraîcheur que l'on se plaît à écouter les ouies ébahies...

Au dernier étage de la visite, s'offrent les appartements restitués de la famille d'Orléans, cousine cadette de la famille des Bourbons. Dans la chambre où trônent berceau et lit-bateau, deux tableaux fondent ici la raison de notre propos. L'un, portrait de groupe, l'autre, individuel. L'un intitulé Louis-Philippe et ses garçons devant le château de Versailles d'Horace Vernet de 1846, l'autre Portrait d'Hélène de Mecklembourg-Schwerin, Duchesse d'Orléans par Franz Winterhalter de 1839.


À traverser à la hâte les appartements Orléans, le visiteur s'en tient à apprécier des exemples de peinture émanant de commandes officielles, au rendu d'une précision incontestable, de la peinture académique, pompière, tout en # instagramables et autres adoucissants de défauts... Un portrait de famille ici, une mère à l'enfant là; un père en coq traînant derrière lui sa saribambelle de garçons avec allure, une jeune femme exhibant son nouvel espoir...

Mais une rapide remise en contexte dévoile chez ces deux toiles des intentions bien moins décoratives, sentimentales ou sucrées qu'elles ne le laissent paraître. 

En juillet 1830, en son château de Saint-Cloud à l'ouest d'une capitale en effervescence révolutionnaire, le roi Charles X, dernier frère de Louis XVI abdique au nom de son petit-fils, le tout jeune Henri d'Artois. Trop jeune, l'enfant doit confier sa couronne à un régent. On s'organise, c'est le retour à la situation de 1715. Louis XIV s'éteint laissant un Louis XV âgé de 5 ans. Une régence est entendue et après quelques entourloupes et souhaits testamentaires brisés, le Duc d'Orléans d'alors se voit octroyer par le Parlement de Paris la mission de gouverner en attendant les 13 ans du roi, sa majorité. 

En ce suffocant été 1830, la situation semble se répéter. Un Bourbon contraint remet entre les mains de son cousin Duc d'Orléans un mandat de régence. Charles X nomme Louis-Philippe, Duc d'Orléans, Régent du Royaume [Lieutenant Général du Royaume] au nom d'Henri d'Artois, avec mission de faire proclamer l'enfant comme roi Henri V. Seulement comme son arrière-arrière-grand-père avant lui, Louis-Philippe s'arroge un peu plus que prévu, tradition familiale dirons-nous... Mu par une révolution parisienne où l'on entonne le chant de la République, et une bourgeoisie à l'audace tempérée, Louis-Philippe obtient après trois journées de pourparlers et tractations parfois sans son avis, la couronne de Roi des Francais, contre un peuple de Paris très acquis aux idéaux républicains encore battants de 1789. Ainsi naquit cahin-caha et dans un fracas de rancoeurs familiales, la "Monarchie de Juillet"; régime assez méconnu mais dont l'acte de naissance, lui, est familier de tous:

La Liberté guidant le Peuple, Delacroix, 1830. La Révolution de 1830.
La Liberté guidant le Peuple, Delacroix, 1830. La Révolution de 1830.

Ce régime allègrement brocardé par les dessinateurs satiriques, dédaigné des manuels scolaires, résumé à un Roi à la redingote, ralliant son Palais des Tuileries depuis son domaine privé de Neuilly à pied, n'a guère bonne presse. Sans la grandeur épique napoléonnienne, amputé du prestige des cours royales de l'Ancien Régime, la Monarchie de Juillet ne semble n'avoir réussi à forger aucun grand récit à même d'imprégner les mémoires comme le fit avec succès Napoléon III et sa narrative de "Fête impériale". La Monarchie de Juillet est donc cet élève passable, ni excellent ni cancre, sans charisme ni éloquence qui obtient sa moyenne et paraît ne guère rêver de grandeur... En nous gardant bien de procéder à un examen avancé de ce que ce régime de 18 années a signifié et sans lui accorder de piédestal au simple motif qu'il a été trop longuement ignoré; rappelons simplement que l'Histoire ne connaît aucune période qui n'aie déposé son limon riche et complexe et que si Louis XIV et Napoléon ont la côte, c'est d'abord l'affaire d'un choix assumé et non par défaut ou carence de points intéressants ailleurs en d'autres périodes...

Louis-Philippe ceint une couronne à un moment d'équilibre fragile. Une révolution menée par les forces républicaines a abouti à un maintien quoique fortement remanié de la Monarchie. Cela étant, le régime demeure héréditaire et le suffrage loin d'être "populaire". C'est un Louis-Philippe équilibriste qui a tenu sur sa tête vieillissante une couronne contestée de tous côtés. D'aucuns tentés de sentencier le dernier roi de l'Histoire de France par un "Bien mal acquis...". La France de 1830 est un espace social tiraillé entre trois grandes forces qui tempêtent en choeur contre l'occupant des Tuileries [contre l'occupant de l'Élysée, ca c'est plus tard...]: les Républicains (oubliez, aucun parallèle avec ceux d'aujourd'hui...), les Légitimistes soutien des Bourbons et les Bonapartistes. Entre rancoeur, nostalgie et frustration, à Louis-Philippe de se frayer un chemin et de tenir les rênes que tous rêvent de lui arracher des mains. Que reprochent toutes ces oppositions au monarque?

Au premier rang des grincheux, les Bourbons autrement rebaptisés Légitimistes. L'espoir d'une couronne sur Henri d'Artois, bourbon, s'est égaré en chemin du fait de ce que les Bourbons nomment eux-mêmes la "trahison" des Orléans. Les cousins aînés règnaient avant la Révolution de 1789, règnaient à nouveau depuis 1815 reprenant d'après eux le cours naturel de leur légitimité; légitimité rompue par le cousin Orléans taxé d'usurpateur, comme ils l'avaient fait avec Napoléon quelques années plus tôt. Les Bourbons ont leur successeur: Henri d'Artois qu'ils se dépêchent du reste de proclamer Henri V.

Les Bonapartistes ne désarment guère non plus... Le souvenir réarrangé, romancé de l'Empire connaît un âge d'or plus de 20 ans après sa débâcle. Il n'y a qu'à feuilleter les Confessions d'un enfant du siècle de Musset. L'auteur, qu'on dirait aujourd'hui décliniste, y déplore la morne grisaille de son époque, regrettant l'élan, la sève intrépide, ce débordement de fougue dont il fait la nature première de la période napoléonienne. Les aînés de la Grande Armée racontent depuis des mémoires embellies, recréent les grands chapitres de l'épopée, marmonnent ou clament déjà le "c'était mieux avant...". Les faits d'armes de l'Empire, les dimensions d'un royaume tentaculaire, agrandi comme au temps de Charlemagne cultivent une teneur certaine de nostalgie.

Troisièmes dans notre classement des adversaires mais déterminés à se faire entendre; les partisans de la République. La mémoire de 1789, des avancées en égalité et droits compose un socle que l'Empire et la Restauration (monarchique) de 1815 n'ont jamais su balayer. L'idéal républicain opiniâtrement défendu ne saurait être de trop relativisé et Louis-Philippe entend ce bouillonnement sourd résistant.

 

Dès 1830, Louis-Philippe se veut le réconciliateur d'une nation fragmentée. Celui qui rebaptise cet espace parisien d'abord connu comme Place Louis XV puis de la Révolution, en place de la Concorde rêve d'unité recouvrée, surtout faite autour de sa personne. À cette louable ambition, le Roi commande une stratégie qui doit généreusement au pinceau de quelques artistes. C'est par l'image que la prétention à se fédérer, à recomposer un idéal d'union s'esquisse lors d'événements majeurs annuels comme le Salon de Peinture. Les arrières-fonds d'affiches électorales n'ont rien inventé... Suffit de consacrer quelques instants d'observation à ce tableau aux sympathiques et innocents airs de réunion familiale:

Louis-Philippe et ses garçons devant Versailles, H. Vernet, 1846, commande officielle.
Louis-Philippe et ses garçons devant Versailles, H. Vernet, 1846, commande officielle.

Le Roi flanqué de ses cinq garçons achève à cheval une revue militaire. Louis-Philippe, plus en avant que les autres personnages du tableau, correspond au sommet d'une pyramide renforcée par la convergence du regard des Princes vers leur royal père. La robe blanche du cheval royal rajoute à la hiérarchie opérante dans le rang et la distribution dans l'espace des figurants. À ses côtés se tiennent, dignes et unis autour de leur Roi et père, les cinq garçons d'une fratrie de huits enfants. Seuls le versant masculin parade ici; seul le versant masculin est susceptible de ceindre la couronne. On est encore qu'en 62 avant S.d.B [Simone de Beauvoir]. De droite à gauche chevauchent Aumale, Nemours, Chartres, Montpensier, Joinville. 

 

  Francois, Duc de Joinville - Antoine, Duc de Montpensier - Ferdinand, Duc de Chartres - LOUIS-PHILIPPE  - Louis, Duc de Nemours - Henri, Duc d'Aumale

 

Ferdinand Duc de Chartres apparaît ici à la droite immédiate du Roi, en tant qu'aîné appelé à succéder s'il n'avait été foudroyé en 1842 à l'âge de 32 ans, soit 4 ans avant la réalisation de cette toile! Magie de la Peinture... Ce rajout en contradiction avec le fait historique renforce l'idée que cette commande n'a jamais eu valeur de portrait de famille sinon d'un monarque déterminé à poser sa légitimité, celle d'une famille, celle d'un nom se rêvant dynastie prometteuse. 

Louis-Philippe pose ici la genèse de sa dynastie, le récit primitif à toute mythologie et mythyfication. Il est la mer sereine à la confluence de trois fleuves, qui pris séparément ne sont que turpitude. Par Louis-Philippe tout s'ordonne, tout coule vers un avenir où la relève masculine est très modestement signifiée... À bien lire le tableau, tout devait mener logiquement au règne fédérateur de Louis-Philippe; une entente cosmique! Retenez votre sourire moqueur... et voyez vous-même!

La perspective dominante du tableau révèle intelligemment l'ensemble des éléments qu'une perspective rectiligne et frontale dissimulerait dans le dos du Roi autrement. Ainsi se dessine une continuité allant du fond de l'espace pictural à l'avant incarné par Louis-Philippe et posant le monarque comme l'aboutissement logique de tout cet enchaînement. Juste au-dessus de son épaulette, émerge une statue équestre dont l'identité ne fait aucune ambiguité: Louis XIV précédant la Cour de Marbre du château. Ainsi rassemblés sur cette même diagonale, Louis-Philippe réaffirme sa parenté avec les Bourbons, ses cousins aînés; légitimant ainsi son droit à régner. Du côté maternel Louis-Philippe était Bourbon. Sa mère était l'arrière-petite-fille de Louis XIV faisant du monarque à la fois l'arrière-arrière-grand-père et l'arrière-arrière grand-oncle de Louis-Philippe. Joie des généalogies princières, tenez bon! En positionnant Louis-Philippe dans l'axe de la statue équestre, celui-ci s'inscrit donc dans la lignée logique du vieux roi. Louis-Philippe fait accroire à une transition des plus naturelles entre son aïeul et lui. Plus de Louis XV, de Louis XVI, de Louis XVII, XVIII, de Charles X et surtout d'Henri V! Non, de Louis XIV à Louis-Philippe en une enjambée et une perspective biaisée! 

Le Roi témoigne déjà d'une souplesse certaine et d'une prise de liberté avec le fil de l'Histoire mais ce n'est encore rien... Derrière Louis XIV à cheval, ondulant dans le ciel tempétueux de Versailles, Vernet fait figurer le drapeau tricolore; symbole s'il en est de la Révolution francaise. Louis-Philippe tout désireux de rappeler ses origines presque divines héritées de son aïeul Louis XIV, convoque désormais le souvenir de la Grande Révolution. Ca démange et disons-le: "Fallait oser!". Au mépris de la cohérence historique, Louis-Philippe rassemble sous sa bannière, ce curieux mariage de la Révolution et du Roi-Soleil... Louis XIV et la Révolution, on entend les perruques se hérisser... Louis-Philippe confond donc dans sa personne l'héritage de la tradition monarchique et les acquis de la Révolution de 1789. Lui, né Prince du Sang à Versailles, au commandement des armées révolutionnaires à Jemmapes et Valmy autour de ses 18 ans, se veut la synthèse naturelle et apaisée de ces mémoires. Reste désormais à amadouer les bonapartistes... Sur le torse de Chartres et Nemours figure étincelant le seul ordre maintenu par la Monarchie de Juillet et crée par un Bonaparte Premier Consul: la Légion d'Honneur. Trois symboles pour trois forces contraires à son règne, et tous aboutissent à la conclusion qui coule de source: Louis-Philippe, pacificateur de mémoires, panseur de blessures, inventeur du "En même temps"...

 

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