· 

Peinture et vues orientées chez les Orléans - Partie 2

Concernant Louis-Philippe, dont la mémoire collective retient vaguement la désignation d'un style de mobilier qui du reste ne lui doit rien, il est entendu de dire que ce temps de l'Histoire du XIXème siècle est loin d'avoir la préférence et peut-être préséance au milieu d'un "nauséeux charivari" de régimes qui ont dirigé notre pays. L'obsession de Louis-Philippe à normaliser son accession au trône, à faire omettre la promesse brisée faite à ses cousins Bourbons de veiller au couronnement d'Henri de France, a comme irrigué le règne d'une constance sans sourcillement.

Les enfants du couple royal ont été autant de mains tendues à des cours étrangères; autant de passerelles diplomatiques négociées à la façon de la famille des Habsbourgs, quoique cette logique d'alliances par le mariage fût de tout temps et bien antérieure à Marie-Thérèse d'Autriche - toujours vue comme archétype de la marieuse rusée. C'est à l'empereur Maximilien I de Habsbourg au XVème que l'on devrait la très célèbre devise "Toi, Autriche, marie-toi!". Sans conteste, Louis-Philippe et Marie-Amélie étaient toujours dans la rigoureuse observance de cette stratégie de raffermissement de leur légitimité et rayonnement à l'intérieur tant qu'au-delà des frontières; les deux types d'assentiment étant cruciaux.

Dans un siècle où la notion de "famille" revêt la connotation que nous lui connaissons aujourd'hui, tout juste esquissée à grands traits à la fin du XVIIIème siècle, le mariage diplomatique est à même de signifier renforts, soutien non négligeable. On s'éloigne clairement d'un XVIIIème siècle, époque de Cours bruissant encore de "ma Tante", "mon Cousin", "mon Oncle", "Grand-papa" à tout-va sans que cela ne fût ni juste généalogiquement, ni dit avec le coeur. La jeune Marie-Antoinette rejoingnant à Versailles celui que sa mère lui avait désigné comme époux non sans âpre négociation, appelle le roi Louis XV, grand-père de son fiancé: "Mon père" et les tantes de son époux Louis XVI: "Mes tantes"... Encore que Marie-Antoinette soit un exemple à part. On a suffisamment à l'époque reproché à la Reine cette "vulgarité bourgeoise" à cultiver des rapports familiaux avec sa mère Marie-Thérèse, certaines de ses soeurs ou encore Joseph II, frère et Empereur d'Autriche de grande tiédeur dans la défense de sa soeur au moment de la Révolution. 

Reprenons le fil de notre propos. Il est sûr que XVII/XVIIIème et XIXème siècles entendaient le vocable de "famille" de deux oreilles différentes. C'est assurément l'une des notions chamboulées par la Révolution de 1789, au même titre que l'amour, l'intimité, le rapport à l'individu... autant de parcelles sociologiques, sociales, sociétales traversées par la Révolution. Sans que cela ne sonne forcément comme une nouvelle pique, la Révolution a embourgeoisé ces valeurs, sacralisant notamment la "famille". Une certaine noblesse d'Ancien Régime - lectrice des auto-proclamées "Lumières" s'était montrée sensible à ces évolutions de rapports au sein de la famille; la Révolution les a consacrées, érigées en valeurs cardinales de la bourgeoisie triomphante. Désormais, affection et  tendresse se généralisent à une société entière où "noyau familial" et "foyer" ont acquis des airs de pivot. La prose rousseauiste avait remporté l'adhésion  d'une aristocratie de plus en plus assignée au seul paraître; les années du Consulat et de l'Empire ont achevé ce martèlement et l'ont porté au plus grand nombre. Cela étant en cette première moitié du XIXème, on demeure encore loin des regards attendris et des complicités ainsi que cela apparait dans l'oeuvre d'une Berthe Morisot dans les années 1880.

Précisément ici c'est Franz Winterhalter et non Berthe Morisot au pinceau. Franz Winterhalter à qui est commandé un portrait d'Hélène de Mecklembourg-Schwerin, Duchesse de Chartres puis Duchesse d'Orléans, épouse de Ferdinand-Philippe, aîné des enfants du roi Louis-Philippe. Regardée de biais par l'épouse de Louis-Philippe, Marie-Amélie de Bourbon-Parme, la très catholique, très pieuse et rangée reine des Français, Hélène de Mecklembourg n'acquiert de réelle valeur au sein de la famille règnante qu'à compter de la naissance d'un garçon à même de prolonger la logique dynastique. C'est donc chose faite avec la naissance en 1838 de Philippe, gratifié du très honorifique titre de Comte de Paris par son grand-père le roi Louis-Philippe et dont découlent désormais les membres de la famille d'Orléans à ce jour. 

Hélène de Mecklembourg, duchesse d'Orléans et son "premier" fils Philippe, 1838, Franz Winterhalter
Hélène de Mecklembourg, duchesse d'Orléans et son "premier" fils Philippe, 1838, Franz Winterhalter

Le devoir accompli, la mère de l'enfant se voit donc accorder l'autorisation d'un portrait officiel, en pied, la campant tendre et un tantinet absente, la main sur la poitrine de l'enfant dans un décor aux forts accents Rocaille règne de Louis XV inventé de toute pièce où tout fleure velouté des étoffes et mollesse. Le bambin revêt une robe ce qui cause généralement la surprise chez les visiteurs détrompés... Dire qu'au XIXème on s'amusait déjà à flouter les frontières du genre! Le port de la robe chez les garçons répondait à une pratique d'avant la Révolution de 1789. Parmi des exemples à la pelle, choisissons d'évoquer le portraits de Louis XIV enfant aux côtés de sa mère la reine et régente Anne d'Autriche et son frère cadet- préparez-vous encore un... Philippe d'Orléans dit Monsieur.

Anonyme français, Anonyme | Anne d'Autriche, régente, Louis XIV et Philippe de France, duc d'Anjou | Images d'Art

En vêtissant le garçon d'une robe, on ne faisait en somme que s'en retourner au Haut Moyen-âge où le port de la robe concernait sans prise de tête ni accusation de wokisme hommes et femmes. Plus sérieusement, au sein de la noblesse, la coutume confiait l'enfant de sa naissance à ses 6/7 ans aux nourrices. Disait-on alors que l'enfant était remis au gouvernement des femmes dont la mission première était l'allaitement. À cette première période succédait le gouvernement des hommes fait de maniement des armes, apprentissage de la guerre, cavalerie et autres joyeusetés... Le vêtement ne faisant que suivre en cela le type de gouvernement dont l'enfant était l'objet.

On constate aisément une évolution dans les rapports mère-enfant entre Anne d'Autriche et le petit Louis XIV et d'autre part Hélène de Mecklembourg et le petit Philippe. Entre les deux temporalités qu'incarnent ces portraits de mères à l'enfant, une nouveauté s'est immiscé et n'a cessé d'aller croissant: la tendresse. Anne d'Autriche, certes mère de Louis XIV, semble sur son portrait ci-dessous plus agir en Reine et Régente soucieuse de réaffirmer toute la légitimité de son garçon à régner à sa majorité qu'à se laisser camper en mère de Roi. De sa main, en un temps de frondes contre la Couronne, elle présente au royaume celui tout désigné à le gouverner, en même qu'elle offre le soutien nécessaire à son garçon de se tenir droit sur ses deux jambes. Un soutien au sens littéral et figuré.

230 ans plus tard, la rigueur se décorsette quelque peu. La duchesse d'Orléans serre l'enfant, pose sur lui une main douce où se remarque au doigt sans fortuité aucune l'alliance de la dame. Hélène de Mecklembourg offre ici l'image idéale d'un siècle aux valeurs bourgeoises auxquelles souscrit désormais la noblesse. Image de l'épouse bien mariée, dévouée, pâlotte, effacée, sans assaisonnement, mère douce, uniquement épouse et/ou mère, comme le siècle en raffole. Ceci étant, on ne le répètera jamais assez: les images sont trompeuses. À la fin houleuse de la Monarchie de Juillet en 1848, Hélène de Mecklembourg a bataillé comme une lionne pour faire reconnaître la légitimité à régner de son fils. La duchesse d'Orléans était manifestement une personnalité plus haute en couleur que ne le laisse accroire éronnément son teint mousse de lait sur la toile de Winterhalter.

 

Une fois considérés le décor, les personnages et leurs postures, l'on serait tenté de ne voir ici qu'une enième mise en avant picturale de la maternité façon têtes couronnées. Or, cette composition toute teintée de maternité soit-elle ne voile qu'à-demi une intention toute autre ficelée sans le consentement du modèle peut-être...

Louis-Philippe s'est toujours vu signifier le caractère bancal de son trône et l'accession à celui-ci. Sur la base d'une révolution de 1830 au souffle républicain, Louis-Philippe Duc d'Orléans à l'époque, trahit le voeu fait à son cousin de Charles X de n'endosser qu'un rôle de régent attendant la majorité de celui que les Bourbons s'entêtent à appeler Henri V, Henri d'Artois, le Comte de Chambord. Comment dire que tout cela créer des rancoeurs et des ennemis? Des ennemis qui ne désarment pas! Toute critique à l'égard du Roi est la bienvenue et avec le déploiement de la presse satirique, tout le monde s'en donne à coeur joie, de toutes parts. La contestation la plus à craindre émanait du camp républicain. La Couronne en la personne de Louis-Philippe a toujours jugé bon de rappeler sa fibre "républicaine"... Après tout, en jeune prince n'avait-il pris les armes au nom de la Révolution en 1792 à Jemmapes et Valmy avant de déserter et se sauver d'une guillotine gourmande? Cette même révolution qui avait accouché de la première république le 22 septembre 1792 par décret de la Convention. Louis-Philippe désireux de maintenir son trône à flot s'abstient de souffler sur les braises de la désunion et ne craint aucun froissement musculaire à se poser lui-même avec un opportunisme sans égal en allié des forces républicaines. Roi certes, mais au coeur républicain si on l'en croit, mais roi [tout de même...]. Et c'est ainsi que le portrait d'Hélène de Mecklembourg se colore du bleu, du blanc et du rouge du drapeau révolutionnaire consacré par la première république française... L'oeil du spectateur relève d'abord le bleu de la robe de Philippe, puis le blanc de la mousseline de soie de la duchesse d'Orléans et finit dans le rouge du rideau de velours séparant de l'ouverture sur le paysage à la fontaine. Voici comment un tableau en apparence semblable à cents autres pareils se fait le vecteur murmurant d'une campagne de communication... Louis-Philippe, un maître dans la commande de portraits.

Écrire commentaire

Commentaires: 0